Les petites sirènes
EAN13
9782246005681
ISBN
978-2-246-00568-1
Éditeur
Grasset
Date de publication
Dimensions
18 x 11 cm
Poids
275 g
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Les petites sirènes

De

Grasset

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I?>MOUSSE?>BIBLIOTHÈQUE ROSE?>Ce matin, je suis montée à l'arbre du jardin. Il était cinq heures. Tout le monde dormait et le soleil venait à peine de se lever. Hier soir, j'avais laissé les volets ouverts pour que les premiers rayons du matin m'éveillent. J'ai couru dans le jardin, les pieds nus. Ils étaient tout mouillés à cause de la rosée, et puis aussi parce qu'il avait dû un peu pleuvoir cette nuit. J'ai écrasé plein de fleurs en marchant, les coquelicots surtout : je le faisais exprès pour que mes orteils deviennent tout rouges mais ça n'a pas vraiment marché. Alors, j'ai grimpé dans le grand marronnier. Ce n'est pas dur du tout, d'y monter à cet arbre, sur le tronc, il y a comme un escalier. Moi, j'y vais depuis que je suis toute petite. Et ce matin, je me suis mise à califourchon sur une branche et j'ai balancé mes pieds dans le vide. Dès que le vent nous traversait, l'arbre et moi, toutes les feuilles se mettaient à bouger et ça faisait exactement comme si mon marronnier respirait. Alors, j'ai posé ma tête contre la branche et j'ai senti le goût de l'écorce sur ma bouche. J'avais un peu peur mais je savais que je ne tomberais pas. Je me suis dit que l'arbre et moi, on était les seules personnes vivantes de toute la maison et ça m'a donné confiance, je ne sais pas pourquoi. J'ai eu soudain une envie terrible, une envie formidable de parler. J'ai serré ma bouche tout contre, tout contre ma branche et j'ai murmuré : « Arbre, tu es le gardien de mon enfance. Fais que je reste toujours une enfant. »Alors, le vent est à nouveau passé dans les branches et bien sûr, c'est idiot mais il m'a semblé, enfin, c'était tout à fait comme si l'arbre acquiesçait.Après, je me suis recouchée.
Aujourd'hui, je m'ennuyais. Je n'avais pas envie d'aller me baigner au lac ni d'accompagner Claire et Sophie dans leurs courses. Je suis restée toute seule et j'ai pris un livre. Un livre de contes. Moi, je les aime tous, je les aime par-dessus tout. J'en relis souvent, même maintenant que j'en ai passé l'âge. Mes contes préférés, ce sont les Contes d'Andersen. Il n'y a pas d'histoires au monde que je préfère à celles-là. Je me rappelle un après-midi, il y a cinq étés, j'avais donc neuf ans. Il faisait très chaud ce jour-là. On s'était assis sous l'arbre du jardin, ici, chez mes grands-parents. Il y avait Véronique, son frère Paul et moi. C'est Paul qui nous a fait découvrir Andersen. Il a deux ans de plus que nous, vous comprenez. Alors, il a toujours tout su avant nous. C'est lui bien sûr, qui a appris à lire le premier. Alors, le soir, quand il savait des histoires, il nous les racontait pour nous endormir. Il est formidable, Paul. C'est toujours lui qui nous a tout fait découvrir. C'est lui aussi qui a trouvé le « Jeu ». Pendant deux heures, même trois, nous avons relu notre gros livre de contes d'Andersen, tous à la file, les uns après les autres. Ça faisait déjà longtemps qu'on les connaissait tous par cœur mais on a préféré les relire pour être sûrs. Quand nous avons refermé nos livres (Paul, je me souviens, avait fini avant nous), nous avons réfléchi un peu, les yeux fermés et nous avons choisi. Le « Jeu », c'était que toute notre vie, on vive comme dans un conte, un qu'on aurait choisi. C'est pour ça que c'était grave et qu'il fallait bien réfléchir : c'était un choix pour la vie. Paul a parlé le premier. Son conte à lui, c'était la Reine des neiges. Véronique a pris la Princesse au petit pois et moi la Petite Sirène. Véronique m'a dit ensuite qu'elle avait hésité longtemps. Moi, c'est drôle, j'ai su tout de suite lequel je prendrais... Pourquoi ? Je vais vous dire pourquoi : personne ne le sait mais moi, je suis comme la petite sirène d'Andersen. Voilà, c'est ça mon grand secret, c'est que le jour où j'aimerai quelqu'un, où j'aimerai vraiment, je veux dire, encore plus que Paul et plus que Véronique, alors je sais que ce quelqu'un, je serai prête à lui donner, comme la petite sirène, ma voix, mes cheveux et mes jambes, et même plus encore : je serai prête à lui donner ma vie.
Cet après-midi, je me suis endormie. Au réveil, ce mot de Paul à côté de mon lit :« Je suis parti au lac tout seul. Je n'ose pas te réveiller car tu es peut-être en train de rêver.Je t'embrasse tout doucement.Paul »Paul, c'est mon cousin, c'est le frère de Véronique mais depuis que je suis toute petite, il est aussi mon fiancé. Nous nous marierons quand nous aurons fini nos études et qu'il aura fait son service militaire. Moi, j'aurai vingt-quatre ans et lui vingt-six, puisqu'il a deux ans de plus que moi. Mais ce jour-là, ce ne sera pas mon vrai mariage : je me suis déjà mariée avec lui, il y a trois ans, dans la cave de nos grands-parents. Dans la cave, il y a toutes les bouteilles que garde mon grand-père. Paul et moi, on y est allés en cachette, on a pris une bouteille de champagne très sec, on n'a pas réussi tout de suite à l'ouvrir et puis quand on a pu, on a bu et c'était bon. On avait volé des gâteaux d'apéritif. Et c'était bon.
Paul a changé, je crois. Cette année, il n'est resté qu'une semaine avec nous. C'est la première fois que nous étions séparés pendant les vacances, Paul, Véronique'et moi. Pour nous, les vacances, ça a toujours été « Mousse », la maison de nos grands-parents. Il n'y a pas un seul été où nous soyons allés à la mer ou à la montagne, on a toujours été ici, tous ensemble. Je me rappelle que chacun de mes anniversaires, on les a fêtés ici, dans le jardin. Chaque 18 juillet, toute la famille était là, toujours. Mais cette année, nous sommes grands. Alors, c'est fini. Oncle Henri et tante Suzanne ont décidé d'envoyer leurs enfants se perfectionner dans les langues étrangères. Alors Véronique est allée en Angleterre et Paul en Allemagne. Moi, je suis restée tout l'été, seule avec mes sœurs.— Question de moyens, a dit maman, nous ne pouvons pas toujours suivre le train de vie de Véronique. Elle a un père, elle. Et puis si quelqu'un devait aller en Angleterre, ce serait à Claire et à Sophie d'y aller. A ton âge, elles ne m'auraient jamais demandé cela.Cette année, je me suis bien ennuyée le jour du 18 juillet. De toute façon, j'aurais préféré qu'on n'en parle pas de mon anniversaire cette année. Je suis triste d'avoir quatorze ans, d'être « une vraie petite femme » comme dit mon grand-père. Je n'ai pas envie d'avoir des seins. D'ailleurs, je les déteste ces deux-là qui n'arrêtent pas de pousser. Quelquefois, je les pince pour avoir un cancer du sein et qu'on me les arrache après. J'ai peur d'être grande, de tomber amoureuse. Il paraît que j'ai l'âge où tout arrive mais moi, je ne veux pas qu'il m'arrive quoi que ce soit. Ça me fait trop peur. En fait, c'est des garçons que j'ai peur. Voilà, c'est ça la vérité. Je sais que je n'ai pas l'air fine en disant ça mais c'est vrai, ils me font peur. Ils sont si gros, si brutaux, ils crient tout le temps ; moi, j'ai horreur des grosses voix. Paul est le seul garçon qui ne me fasse pas peur. Mais cette année, il a beaucoup mué, je ne le reconnais plus, peut-être qu'un jour, il me fera peur lui aussi. Je sais bien que je suis idiote. Si je racontais ça à Véronique, elle éclaterait de rire mais c'est pour ça que je n'en ai jamais parlé à personne. Je crois que je ne suis vraiment pas avancée pour mon âge mais tant mieux, c'est très bien, moi, je veux rester comme ça. Je veux être une fille, pas une femme. Je n'arrive pas à m'habituer à ce sang chaque mois. Chaque fois, ça me surprend et ça me fait peur, terriblement. Véronique, ça lui est arrivé avant moi, elle m'a expliqué et maman aussi m'a expliqué. Mais quand même, c'est si... bizarre. La nature est mal faite ; après tout, pourquoi n'y a-t-il pas un truc comme ça pour les garçons ?
C'est la dernière semaine des vacances mais pour moi, c'est la plus belle, c'est celle que j'attends depuis le début : Paul est revenu d'Allemagne et Véronique arrivera demain. On ira la chercher à la gare de Châteauroux avec l'oncle Henri et tante Suzanne. J'ai tellement hâte qu'elle soit là. Véronique, pour tout le monde, c'est « une fille saine et équilibrée, qui n'a pas froid aux yeux », c'est comme ça qu'on l'étiquette dans la famille et personne ne pense le contraire ; « Isab...
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