Divin danger

Valéry Meynadier

Al Manar

  • Conseillé par
    20 novembre 2017

    Divin Danger

    Un roman à ne pas mettre entre toutes les mains. Peut-être même pas entre les miennes ! Il m'est arrivé, lisant, de penser ,non, pas ça, non. "Tu m'as pénétrée par cette phrase"... Un livre érotique donc, un livre saphique, et rien que ça. Qui ne tourne pas autour du pot. La littérature lesbienne commence avec la poétesse Sapho : "Ta beauté dénoue en moi tout chagrin." Rien de plus périlleux que de dire le sexe. Valéry Meynadier, dont c'est le troisième roman (Il faut lire le magnifique "Ma mère toute bue"), s'y adonne avec exigence, sans reculer devant aucune crudité. Ni aucune élévation spirituelle. Exactement 100 pages d'aventures charnelles. Et intérieures.
    Divin danger n'a pas d'intrigue. Pas d'autre suspense que celui de l'avidité d'aimer la femme, l'autre femme. "Il y en avait une... Une sanguine... Du sang algérien, du sang vietnamien... Racée. Petit nez retroussé. Peau mate. Longue; avec un rire de chevelure qui me faisait tressaillir." Ça, comme c'est écrit. Ça a de la race, du style, cette phrase, ce rythme. N'empêche, à décrire l'amour charnel, on risque sans peine le ridicule, l'ennui ou l'obscène, ou d'être à coté de la plaque. L'amour se fait, c'est bien parce qu'il est un pur ressenti qu'il résiste à la possession par les mots. Sauf si l'auteur est un charmeur de serpents. V. Meynadier réussit presque entièrement à nous tenir en haleine avec cinq ou six portraits de femmes désirées, haïes, aimées, enviées, oubliées, revenues hanter la narratrice.

    Cela commence par l'écoute des rires de femmes qui s'aiment sur le palier d'enfance, "mes oreilles naissaient avec mes voisines", continue avec le portrait de la première amante, Doriane (qui s'appelle Nicole !), "J'avais encore la bouche ouverte, la langue désespérée... C'était la dernière fois qu'elle me laissait comme ça, dans ma camisole de désir.", puis celui de Dorothy, et d"elle", "J'aimerais lui demander l'heure à vie", Daou, celle qui "aime un peu"... La collection pourrait être lassante, comme tout inventaire, mais non : la narratrice décline les figures de l'amour lesbien en injectant, à chaque fois, une tension nécessaire, d'où la déchirure n'est pas exclue."C'est en aimant qu'on devient quelqu'un d'autre. Ma tante n'a jamais aimé de sa vie. Elle est restée imperturbablement elle-même jusqu'à cette misère qui suinte de sa langue. Mêler sa langue à une autre langue, c'est ça qu'elle devrait faire."Cette phrase survient comme la métaphore du rapport entre l'auteure et le lecteur : nous sommes convoqués à mêler notre langue avec la langue de l'écrivaine, et quelle langue ! "Si l'eau devait crier, mon amour !"
    Bref, un livre, quoiqu'imparfait, superbe, lyrique et culotté...